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Pour cette nouvelle sortie en gravel, nous nous sommes retroussé les manches. La Manche, plutôt. C'est ce département à l'ouest de la Normandie, curieusement méconnu, que nous souhaitions explorer et vous faire découvrir. La promesse d'un voyage au plus près de la mer, dicté par les embruns, un peu de pluie et quelques huîtres. Retrouvez ici notre carnet de route, de Cherbourg à Granville.
Cette aventure fait écho au film Immersion réalisé par Captain Yvon et produit par Attitude Manche, partenaire de ce récit, pour lequel Les Others a réalisé l’affiche. Aux côtés de la surfeuse et waterwoman Léa Brassy, on y découvre sept portraits de Manchois dont la vie est rythmée par vents, courants et marées. Parmi eux, Alban Lenoir, conchyliculteur à Chausey, et Bazile Pinel, shaper aux Pieux, que nous avons retrouvés à l'occasion de ces trois jours de gravel à travers La Manche.
Avec ses 360 kilomètres de littoral, La Manche forme l'un des principaux départements côtiers de France. Du Mont Saint-Michel à la pointe du Cotentin, la mer est omniprésente. Elle sculpte des paysages variés, faits de longues plages sauvages, de dunes, de caps, de falaises escarpées, mais aussi de forêts et de marais. La biodiversité, dont des colonies d'oiseaux migrateurs ou de phoques veaux marins, vit paisiblement sur la péninsule normande.
La Manche est donc une destination idéale pour les activités nautiques – passionnés de voile, de surf ou encore de kayak de mer y trouveront le bonheur – mais aussi pour les loisirs verts. Côté randonnée, le fameux "Sentier des Douaniers" (GR® 223) fait le tour du département en longeant le rivage. On y trouverait même "le plus beau kilomètre de France", du côté de Champeaux.
Le territoire est également un excellent terrain de jeu pour les cyclistes. On y trouve 1 200 kilomètres d'itinéraires cyclables balisés et 285 kilomètres de voies vertes, à la croisée de plusieurs circuits nationaux et internationaux comme la Véloscénie, entre Notre-Dame de Paris et le Mont Saint-Michel, ou la Vélomaritime qui relie la France à l'Ukraine. De nombreux hébergements, offices de tourisme, sites et lieux de visite sont par ailleurs labellisés Accueil Vélo et proposent un point d’eau, des toilettes et du petit matériel de réparation.
Il n'en fallait pas plus pour attirer les amateurs de bikepacking que nous sommes. Le vélo, et le gravel en particulier, est parfait pour découvrir un territoire en profondeur, de belles routes en chemins caillouteux, et de petits bourgs tranquilles jusqu'aux coins les plus sauvages. C'est aussi, et nous en faisons l'expérience à chacune de nos sorties, un très bon moyen pour tisser des liens avec les habitants. Au rythme des pédales, on a le temps de s'arrêter, de discuter, d'échanger des bons plans, des astuces techniques et des souvenirs de peloton. On charge les vélos, on ajuste la selle, et c'est parti pour trois jours de gravel à travers La Manche.
Au départ de Paris, on a choisi de prendre le train pour rejoindre La Manche. C'est souvent la solution la plus pratique pour débuter et finir une aventure à vélo. Comptez seulement 3h20 jusqu'à Cherbourg ou Granville depuis les gares de Saint Lazare et Montparnasse. Peu importe l'itinéraire choisi, le voyage est en lui-même un véritable travelling sur la campagne française.
Côté saison, on vous conseille les mois de mai à octobre pour profiter de températures clémentes. La proximité avec la mer, si agréable soit-elle, rend la pluie quasi inévitable, mais c’est en partie ce qui fait le charme du territoire. Un k-way dans le sac et le tour est joué.
Si la pratique est accessible à tous, une aventure en bikepacking ne s'improvise pas pour autant. N'hésitez pas à consulter les guides de nos précédentes sorties avant de partir en gravel à travers La Manche. Vous y trouverez tous nos conseils pratiques en matière de préparation d'itinéraire et d'équipement, ainsi que la liste du matériel à prévoir dans les sacoches. Surtout, on n'oublie pas son casque, son topo, et son bidon d'eau !
Au programme de ces trois jours de gravel à travers La Manche : 214 kilomètres pour 1840 mètres de dénivelé et 3 à 6 heures de vélo par jour. Un programme chargé dont vous retrouvez ci-dessous le tracé enregistré sur Komoot. Il est bien entendu possible d'y ajouter davantage d'étapes pour adapter l'itinéraire à une sortie plus tranquille ou familiale.
Vendredi matin, 6h30. On s’est donné rendez-vous sur le quai 22 de la Gare Saint Lazare, pour prendre le train en direction de Cherbourg. Première mission de la journée : démonter nos gravels et réussir à les faire entrer dans leurs sacoches de transport. Ils passeront finalement le voyage suspendues car le train dispose d’un rangement dédié aux vélos non démontés !
On profite de ces 3 heures de train pour charger nos batteries et celles de nos téléphones (qui nous servent de GPS) en prévision de cette première journée sur la route, qui s’annonce déjà longue : 85 kilomètres pour 1 160 mètres de dénivelé. De quoi se mettre en jambes.
À la sortie du train, on attache les sacoches aux vélos, on contrôle la pression des pneus, la réactivité des freins, la hauteur de selle. Tout est prêt ? C'est parti ! Ou presque. Laurine fait face à la première – et dernière – crevaison du voyage. Le pneu pincé en montant un trottoir, un grand classique. Note pour la prochaine fois : bien lever la roue avant en abordant les obstacles, surtout avec un vélo chargé. Basile sort son multi-tool et change la chambre à air en quelques minutes.
Nous voila repartis. Au loin, on entend déjà le bruit des vagues qui s’échouent sur les galets. La mer, voilà ce qu'on attendait en venant visiter La Manche ! On ne peut pas s’empêcher de faire une première pause et d'avaler une pâte de fruit avant d’entamer les premières côtes et dénivelés positifs. Pour cette traversée, on a opté pour un itinéraire loin des grands axes, passant par les villages aux maisons de granits, fleuris d’hortensias bleus et violets. Dès le début, les chemins que l’on emprunte sont aussi caillouteux qu’abruptes, la vélo-rando porte ici bien son nom : on met régulièrement pied à terre...
Au bout d’une côte où l'on pensait être perdus, on arrive au hameaux du Tourp où se tient une fête viking. Le restaurant sert toujours, mais il ne faut pas trainer. Après déjeuner, le gérant nous propose gentiment de remplir nos gourdes et on enfourche nos vélos vers Omonville-Rogue pour retrouver la mer que nous ne quitterons plus des yeux pour le reste de la journée.
Sur le bord des maisons, les roses trémières ont rejoint les hortensias. Dans le port de plaisance, des enfants s’entraînent à nager jusqu’au rivage depuis le bateau de leur maître-nageur et des marins nous saluent d'un geste de la main, avant de prendre la mer.
On avance à bon rythme, Pierre-Antoine nous guide ("la guidance"), Laurine roule ("la kiffance"), Basile ferme la marche ("la cadence"). Notre itinéraire nous mène vers les sémaphores de Jardeheu (transformé en chambre d’hôte) et de Goury. Le dernier fait face à un bunker de la seconde guerre mondiale. On improvise une séance photo avec, comme toile de fond, le phare de Goury et l'île d'Aurigny, au large.
On rejoint le village suivant par une digue de galets avant de grimper jusqu’à la pointe du Houpret, momentum de notre journée. Devant nous, une longue descente sinueuse, digne d’un film – publicitaire, peut-être... Les mains sur le bas du cintre, la tête la première, le vent dans les oreilles, on a l’impression de voler en avalant les courbes. Comme dirait Basile : "Le kiff, wouhouuu !"
Au terme de la descente, l'ambiance est plus paisible. Un kayakiste remonte les vaguelettes pour prendre le large, sans un bruit. C’est ça, La Manche, un territoire paisible dont les habitants vivent en connexion avec la mer. Les roses trémières et les hortensias ont laissé place à des parterres de fleurs roses sur les flans de collines. On grimpe jusqu’au Nez de Jobourg, promontoire rocheux culminant à 128 mètres (une des falaise les plus hautes d’Europe) et étape phare du GR® 223 qui relie Honfleur au Mont Saint-Michel.
On entame une nouvelle descente pour rejoindre Vauville. Un panneau indique "Restaurant, Pizzeria, Grill, Cuisine au feu de bois et terrasse panoramique". L'offre est alléchante, mais il nous reste encore 25 kilomètres et 400 mètres de dénivelé positif avant de pouvoir dîner. On se console en avalant une nouvelle barre énergétique et nous voila partis vers le dernier col à lacet de la journée, sous la lumière dorée du soleil couchant. Au loin, on aperçoit les dunes de Biville, qui se dresseront bientôt sur notre chemin.
Les dunes sont arrivées. Et nous, on s’est enlisés. La route s'est transformée en chemin, et le chemin en sable... Le gravel a ses limites ! En arrivant à Siouville-Hague, les jambes sont lourdes et les visages marqués. Il se fait tard. Plus que 15 kilomètres jusque Saint-Germain-le-Gaillard, soit 1 heure de vélo, et encore une jolie côte. Le Baligan, restaurant de la ville, son groupe de musique, ses burgers, la nuit tombante et la fatigue auront raison de notre motivation. Rationnels, on s'arrête pour récupérer les calories dépensées autour d'un beau combo burger-frites-soda face à la mer, en attendant Kristel, notre hôte pour la nuit, qui a gentiment proposé de venir nous chercher avec sa remorque. Notre première journée en gravel à travers La Manche est terminée. Rideau, dodo !
Après une bonne nuit de sommeil à Saint-Germain-le-Gaillard et un petit déjeuner copieux composé de brioche tressée et de confitures maisons, on reprend la route sous le fameux crachin normand, en direction du village des Pieux. Là nous attend Bazile Pinel, shaper de planches de surf. Il nous reçoit en habit de travail, salopette blanche bariolée de coulures de résine, dans une grange en pierre où flottent des odeurs de solvants.
Il nous fait visiter son repère, aménagé pour son activité. Le rez-de-chaussée sert de showroom, boutique, lieu de rencontre et d’exposition. L’étage se divise en deux pièces. Dans la première, Bazile sculpte les pains de mousse à l’aide d’un rabot à bois bricolé pour aspirer la poussière, éclairé par un néon rasant laissant apparaitre la moindre des aspérités. La seconde sert à la stratification, ou "glassing". Bazile y recouvre le pain de mousse sculpté de fibre de verre et de résine polyuréthane. Pour les dérives, le shaper utilise des fonds d’armoires normandes en chêne massif. Rien que du local !
Autour d’un Samahan – boisson indienne aux épices – Bazile nous présente son parcours, l’apprentissage autodidacte de son métier et sa passion pour les rabots anciens. Il vient tout juste d'en recevoir un, déniché sur leboncoin. Avant de partir, Bazile nous indique un sentier de VTT renommé dans la région, entre Le Val Mulet, Becqueville et Le Rozel, que nous emprunterons pour rejoindre la crêperie du château du Rozel, notre prochaine étape.
On rejoint la corniche de Barneville-Carteret, son train touristique et son front de mer. Chemises et cheveux aux vents, on prend un bon bol d'air marin. Au loin se dessine l'île de Jersey. D'ailleurs, notre téléphone s'est mis tout seul à l’heure anglaise et capte le réseau d’outre-Manche ! Quelques étirements, une barre, et ça repart.
Les routes escarpées laissent désormais place à des grandes voies côtières. Sur la route qui mène à Portbail, petit port de plaisance connu pour son pont aux treize arches, Laurine s’essaie au vélo sans les mains. Le secret ? Se tenir bien droit.
Pour les 15 derniers kilomètres qui relient Portbail à Montgardon, on quitte la côte pour s’enfoncer dans les terres, sur une voie cyclable ombragée à travers champs et forêts. Encore un effort, notre destination est en vue ! 18h30, les gravels sont posés, les chaussures sont retirées et l’apéro au cidre artisanal est servi.
Pour ce troisième et dernier jour de notre aventure manchoise, 88 kilomètres de Montgardon à Granville nous attendent, avec un train à 18h30 pour Paris Montparnasse. Il va falloir pédaler ! On traverse les villages de Lessay et sa pinède qui mène au Pirou et son château médiéval. Le vent souffle de 3/4 face, alors on s’essaie à la technique de l'éventail, utilisée lors des courses en pelotons pour se protéger du vent. Le coureur de tête se place à droite, le second vient se mettre au niveau de son épaule gauche pour se protéger du vent. Le troisième fait de même, et ainsi de suite jusqu’à occuper toute la largeur de la route en diagonale. Les bagarres peuvent être féroces pour les places les plus à gauche ! Dans notre cas, pas de dispute mais de beaux relais qui nous permettent d'avancer "tranquillement" face au vent.
On longe le front de mer et les cabanes en bois de Gouville-sur-Mer avant de rejoindre les zones conchylycoles de Blainville-sur-Mer. En chemin, on croise des cimetières de tracteurs usés par les conditions de travail et les intempéries dans les parcs à huitres. Après un rapide shooting devant les cages à homards et filets de pêches qui longent les entrepôts des amareyeurs, on retrouve Alban Lenoir. Il nous reçoit dans son entrepôt désert. "Le dimanche y’a que les patrons qui bossent !" Ce sont des retrouvailles pour Basile et Alban, qui s’étaient déjà croisés trois ans plus tôt pour un photo-reportage.
La vie d’Alban est rythmée par la mer, ou plutôt par le cycle des marées. En période de vive-eau – durant laquelle les marées sont au point le plus fort – il quitte Granville pour rejoindre l’archipel de Chausey. Là sont installées ses productions d’huîtres, moules, coques et palourdes qu’il cultive de manière biologique dans ces eaux de catégorie A, moins soumises au risque de pollution. C’est aussi le moment pour ramener du travail pour la période de morte-eau, pendant laquelle les parcs restent submergés. Les huîtres sont alors calibrées et triées – plus elles sont grosses et plus le numéro associé est petit – pour continuer leur élevage ou être mises dans des bassins de stockage avant d’être expédiées à la vente ou dégustées sur place.
En ce moment, c’est la vive-eau. Alban devra se préparer à partir en mer sur les coups de 15h00. Il plonge sa main dans un bassin et sélectionne deux douzaines de numéros 3 pour nous faire déguster son merroir – terroir de la mer – sur la plage de Blainville.
La suite de notre aventure nous mène à la pointe d’Agon et son petit phare. Le vent de la mer s’intensifie et le ciel s’assombrit. On a tout juste le temps d’enfiler nos imperméables et nos lunettes que la pluie s’abat à grosses gouttes. On garde tout de même le moral en entonnant quelques couplets de circonstances, de "Singin' in the Rain" à "It’s Raining Men"...
La pluie s’est arrêtée depuis une dizaine de minutes. Le temps change vite, dans La Manche. On file à toute allure sur la voie verte, vestes ouvertes, prêts à décoller. Pourtant, les jambes commencent à tirer. La fatigue s'installe au fur et à mesure des derniers kilomètres. On rejoint la route submersible qui traverse la Vanlée et les routes sablonneuses du GR® 223, s’amusant même à faire quelques dérapages contrôlés. On est presque arrivés !
On profite du front de mer, slalomant entre les promeneurs. La mer retirée dévoile les parcs à huîtres et le bal des tracteurs. On croise les derniers animaux, on avale les derniers mètres de dénivelé. Voilà Granville avec un point de chute inattendu mais plutôt agréable après trois jours à pédaler en pleine nature, le musée Christian Dior.
Sur la plage du Plat Gousset, les sauveteurs nous rappellent à l’ordre, "Les vélos sont interdits !" Bien reçu. On descend de nos montures et on défait les lacets pour retirer chaussures et chaussettes avant de rejoindre la mer. Les vaguelettes nous caressent les chevilles, puis les genoux... Dans un élan de folie, P-A s’élance et pique une tête dans l’eau fraiche. Il ressort le cuissard trempé mais trop heureux de ce bain amplement mérité.
18h30. Juste le temps d’acheter un sandwich et de sauter dans le train en direction de Paris. Confortablement installés, on se remémore ces trois jours de gravel à travers La Manche. Si c’était à refaire, nous ferions le tour dans l’autre sens, celui des aiguilles d’une montre, de Granville à Cherbourg. La raison est pratique : on évitera ainsi bon nombre de routes à traverser. Et puis, on ferait plus d’étapes, pour profiter et savourer pleinement La Manche, un territoire pluriel, imprévisible et dépaysant, au goût iodé de "reviens-y".
Les portraits de Bazile et Alban sont à retrouver dans le film "Immersion", actuellement en salle et sur la plateforme de vidéo en ligne Vimeo.
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